dimanche 5 mai 2013

Etrac


Imaginez un monde où la forêt recouvre tout.
Imaginez un monde où la nature est luxuriante et paradisiaque.
Imaginez un monde où cette nature est mortelle pour vous.
Bienvenue sur terre.
Nous sommes en 6022, la terre a changée.
Elle a engendrée une nouvelle race d'humains : les Etracs.
Ils sont parmi nous.
Nous voulons les tuer ou les rendre esclaves.
Nella, jeune fille courageuse, ne se laissera pas mener à la baguette.
Voici son histoire.

Prologue

 

     Sa tête heurta violemment le sol. Les hurlements ne cessaient pas. Elle se releva, tentant de reprendre désespérément son souffle et se remit à courir. Elle était épuisée, inquiète, mais surtout elle voulait hurler. Évacuer cette terreur qui s'emparait d'elle à chaque minute qui passait. Elle s'effondra près d'une poubelle agricole et se cacha dans l'ombre de celle-ci. Elle les entendit approcher, la dépasser et finalement disparaître au coin d'une rue. Le vomi franchit ses lèvres presque instantanément. Du moment où les gardiens rouges eurent quittés son champs de vision. Elle sentit la sueur glacée mordre sa peau brûlante. Elle ne savait plus quoi faire à présent. Là-bas, tout le monde était probablement mort et ils devaient déjà être en train de rassembler les corps pour les faire disparaître. Elle se leva et se mit à courir. Pour le moment, le plus important était de sauver sa peau. S’ils l’attrapaient, elle ne pourrait jamais raconter son histoire à personne. Elle se rendit compte qu'elle saignait au côté droit mais ne se préoccupa pas outre mesure. Trébuchant, elle s'étala de nouveau de tout son long. La poussière et le sang lui laissèrent un goût métallique entre les lèvres et elle recracha ce qu'elle avait dans la bouche, prise d'une brusque quinte de toux. Encore du sang, mais un caillot cette fois, elle devait probablement faire une hémorragie. Elle serra contre elle son bracelet-émetteur. Elle avait tout enregistré et elle devait le remettre au guide. S’ils n'avaient pas été trahis, sa famille serait aujourd'hui encore en vie. Il fallait donc remettre au guide les preuves que le traître faisait bien partie des pirates. Qu'un massacre pareil ne se reproduise pas une deuxième fois. Elle sentit ses forces la quitter lorsqu'elle rejoignit finalement la maison du guide. Elle allait mourir, c'était une évidence, mais elle voulait laisser son message avant de rejoindre les siens. Elle attrapa un tract jeté négligemment sur le sol et le retourna. Elle écrivit du bout de l'index, enroula son bracelet-émetteur dedans et le glissa dans la boite au lettre. Et si le guide n'arrivait pas à ouvrir son message ? Après tout il fallait en être un pour l'ouvrir. L'objet ne fonctionnait qu'à l'énergie solaire...Or le guide n'en était pas un. Peu importe ! Il fallait qu'elle agisse ! Il trouverait bien quelqu'un ! Son pouls ralentit ostensiblement maintenant que le soulagement l'envahissait. Les informations étaient en lieu sûr, le guide allait tout arranger, tout ça se terminerait très rapidement. Elle se remit à courir. Arrivée aux frontières de la forêt, elle jeta un dernier regard vers ce qui était à présent le tombeau de sa famille. Elle se retourna et commença à avancer. Une douleur brûlante la saisit dans le haut du dos et elle s'écroula au sol. Un liquide chaud s'écoula tout autour d'elle, au fur et à mesure qu'elle se sentait partir. Elle ferma les yeux tandis qu'on tentait de la réveiller à coup de pied et se fut sur un «merde...je l'ai tué» qu'elle termina sa vie.

Chapitre 1

 

         Nella fixait le plafond de sa chambre – et de celle des six autres – sans rien dire. Elle avait douze ans et depuis cinq heures, elle était officiellement orpheline. Elle regarda le dernier cadeau de son père, un genre de grosse montre recouvrant son poignet droit. Elle avait essayé de le détacher mais le machin semblait s'accrocher comme une moule à son rocher. Elle ne comprenait pas vraiment ce que qui s'était passé. Elle s'était apprêtée à passer à table comme d'habitude et des gardiens rouges avaient débarqués dans la maison. Ils avaient tirés une balle dans la tête de son père et avaient entraînés sa mère vers une destination qu'elle ignorait. Elle devait être morte à présent, parce qu’ils l’avaient probablement torturée. En tant que professeur, elle ne pouvait pas être assassinée à la légère comme son mari. Il fallait des raisons – plus ou moins pertinentes devant un juge – pour tuer un professeur. Le père de Nella n'était qu'une petite pièce du grand puzzle de l'Ordre rouge. Autant dire que le supprimer revenait à écraser un minable petit cafard. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux mais les refoula immédiatement. On ne pleurait pas au centre de formation. Il ne fallait ni être faible, ni pleurer, ni demander de l'aide. Les seules choses qu'elle avait connu jusqu'à présent étant sa maison, étant encore malléable puisqu'elle était une enfant, étant seule, on avait décidé de la placer ici. Et pour rester en vie, elle avait décidé de se plier aux ordres qu'on lui donnerait. Elle n'était pas pareil que les autres et elle l'avait senti immédiatement. Tout d'abord parce qu'on lui avait fait un tatouage sur le bras à son arrivée, chose qu'on n'avait pas faite au garçon qui passait en même temps. Une série de chiffres qu'elle regardait tellement qu'elle avait fini par les mémoriser. «1100110». La suite était suivie par un petit triangle renversé. Rien n'avait de logique là-dedans. Elle ne connaissait pas ce codage. Pourtant son père avait pleins de livres avec des milliers de codes. Mais rien de ce genre. Elle laissa retomber son bras le long de son flanc et tourna la tête vers la fenêtre. On ne pouvait pas encore sortir, le soleil tapait trop fort à cette heure de la journée.
  • Je veux aller dehors ! Se mit à brailler l'un des plus petits.
  • La ferme ! S'exclama un plus grand aux cheveux bruns.
  • Pourquoi ? Ce n’est pas interdit d'aller dehors ! S'écria l'autre.
  • Eh ben si tu veux cramer y a pas de problèmes !
  • Mes parents ils sortaient tout le temps ! Même à cette heure de la journée !
  • Ben c'est t’être pour ça que t'es la tête d'ampoule...
Le petit se tût et se recoucha. Nella ferma les yeux. Les enfants se trouvant au centre de formation étaient pour la plupart des orphelins ou des enfants des rues. On les ramassait souvent affamés, supposant qu'ils n'avaient eu aucune éducation. On avait donc décidé qu'il fallait les civiliser pour qu'ils servent la communauté au lieu d'être des rebuts. Mais avec brutalité et endoctrinement. Nella avait souvent entendu les histoires de son père – une fois la nuit tombée, les volets fermés et les voisins curieux partis – qui racontaient que certains enfants étaient tués tant la formation était rude. Elle ferma les yeux. Un homme lui avaient dit qu'on viendrait les chercher pour commencer l'entraînement dès aujourd'hui. En tant que nouvelle recrue, elle avait intérêt à montrer l'exemple et ne pas mollir. En contemplant les autres adolescents lorsqu'elle était passée dans la grande cour, Nella avait constaté pleine d'effroi que les histoires étaient probablement vrais. Ils étaient couverts de bleus, certains ayant de grosses cicatrices, d'autres des blessures encore infectées. Elle ne vit pas le soleil faiblir. Elle se rendit compte qu'il faisait nuit parce qu'un formateur arriva sans crier gare dans la chambre.
  • Debout ! Hurla-t-il.
Le formateur les conduisit dans une grande pièce. Là, il leur ordonna de se déshabiller. Nella ne dit rien, même si elle était terriblement gênée. Elle ne voulait pas se faire frapper. Sa présence d'esprit ne fut apparemment pas partagée, parce qu'une autre fille se mit à dire qu'il était hors de question qu'elle se mette nue devant des garçons. Une gifle et un nez cassé plus tard, elle obtempérait. On les fit ensuite se mettre en file indienne – Nella eu pour la première fois de sa vie la désagréable sensation d'être un objet – et on les fit avancer vers une formatrice. Celle-ci prenait leur poignet et y implantait une puce. Ils pourraient ainsi être repérables à tout moment et si ils étaient en danger, on le saurait et ils seraient sauvés plus rapidement. Nella se demanda pourquoi on leur demandait d'être nus pour ça mais elle se garda bien de faire la remarque. Elle comprit juste après. Une fois la puce insérée dans leur corps, leur tête était rasée, ils étaient épilés au laser intégralement, on les stérilisait en leur coupant ce que la mère de Nella appelait «leurs organes de reproduction» puis on colorait leurs yeux en rouge. Bien évidemment, on ne leur décrivit pas le procédé de stérilisation de la façon qu'il aurait fallu. On leur expliqua brièvement qu'il allait falloir faire une petite opération indolore appelé «suppression des organes génitaux». La formatrice passait un laser sur leur ventre et s'était terminé. Les autres, n'ayant jamais ouvert un manuel de biologie ou même sut ce qu'étaient des organes génitaux, ils ne comprirent pas ce qui se passait. Nella, si. Elle ne put malheureusement rien faire. L'envie de vomir et la tristesse lui déchirèrent les entrailles mais sa bouche resta close. Elle ne pouvait rien faire. Elle laissait ces monstres déchirer son corps, sa féminité, sa possibilité d'engendrer. Elle aurait voulu dire à ses camarades ce qu'on leur faisait mais elle ne s'en sentait pas capable. Elle porterait le poids de la vérité toute seule, sans que personne ne sache rien.
  • Nella ?
  • Hum ?
  • Je peux dormir avec toi ?
  • Bien sûr Diaedin. Grimpe.
  • Dis Nella...
  • Hum ?
  • Qu'est-ce qu'ils nous ont vraiment fait dans la salle blanche ?
  • Oublie ça.
  • Mais...
  • Oublie, chuchota-t-elle en le serrant contre lui.
Les mois suivant commença l'entraînement des histoires. On les formait à tuer. Il y avait un cours d'armes blanches, un cours d'armes à feu, un cours de survie, un cours de sport de combat, un cours de moral. Toutes les trois semaines, on les lâchait dans la Forêt avec pour seuls amis un couteau et un masque à gaz. Ils devaient rentrer tous seuls, sans aide extérieure. Si la forêt avait été normale, ça n'aurait été qu'une affaire d'orientation – ils avaient aussi droit à une boussole. Malheureusement, ça n'était évidemment pas le cas.
La capitale de l'Ordre rouge, Iryanthera, étaient entourée d'un gigantesque mur de plus de vingt mètres de haut. Il avait fallu quarante ans, quatre-vingts milles morts dont soixante-dix milles esclaves, pour le terminer. Au-delà, s'étirait la Forêt. En soi, quand on restait à dix mètres des arbres, tout se passait bien. Mais il ne fallait pas dépasser cette limite sinon on était mort. Tout d'abord, une fois dans les sous-bois, respirer était synonyme de mort car l'air était empoisonné. Ensuite, si vous aviez un masque donc, il fallait affronter les prédateurs de la forêt. Mais quand les prédateurs étaient la forêt elle-même, cela se révélait légèrement plus complexe. Quand vous entriez dans une Forêt, quelle qu'elle soit, tout devenait un ennemi. La petite marguerite aussi. Surtout la petite marguerite en l’occurrence, puisqu'elle semblait inoffensive.
La première fois, Nella faillit ne pas revenir, justement à cause de la petite fleur innocente. Elle avançait avec Nakaba, une autre fille, parce qu'elles pensaient qu'être en groupe était une meilleure façon de rester en vie. Ça n'était pas une mauvaise idée, en soi, si l'une d'elle n'avait pas décidé de perdre dès le début. Nakaba avait justement remarqué une marguerite, or, elle avait trouvé la fleur si attrayante qu'elle avait décidé de la cueillir. Nella était allée chasser à ce moment-là. Elle n'avait pas pu la prévenir. Lorsqu'elle était revenue, Nakaba gisait sur le sol, un liquide vert coulant de ses lèvres parfaites, la main transpercée par de longues aiguilles blanches. Empoisonnement. A partir de ce jour-là, elle se jura de se méfier de tout. Encore plus des plantes. Au centre de formation, on leur apprit finalement les arbres à éviter à tous prix car ils vous attaquaient même si vous ne les touchiez pas. Il y avait le craquolier, qui vous attrapait avec ses gigantesques lianes, et vous tortillait tellement que vous vous brisiez en milliers de morceaux. Il y avait aussi le navd, anciennement appelé cerisier, dont l'odeur des fruits vous attirait sans que vous puissiez rien y faire. L'arbre vous obligeait à les manger et vous vous empoisonniez avec. C'était les deux arbres de catégorie A, parce qu'à la connaissance du formateur, personne n'était sorti vivant d'une confrontation avec l'un de ces deux monstres de la nature. La seule chose comestible dans ces forêts de la mort, c'était les prédateurs carnivores. En général, des formes évoluées de léopard appelés «Daenkils», sinon des modifications génétiques de rats ou de souris appelés «kriss». Les daenkils avaient des mâchoires d'aciers et étaient dangereux parce que leur pelage était noir, tout comme leur yeux. Ils l'étaient également parce que les deux pattes qu'ils possédaient en plus leur permettaient d'atteindre une vitesse de course de 120 km/h. Ce qui était plutôt rapide. Les kriss quant à eux, n'étaient pas des prédateurs à proprement parler mais leurs dents libérant du venin, il était considéré qu'il valait mieux les éviter. Ou alors les manger en leur coupant la tête puisqu'ils stockaient le venin dans des glandes situées près de leurs glandes salivaires.
La seconde fois que Nella fut lâchée dans la forêt, elle se retrouva nez à nez avec un Daenkil. On leur avait appris à chasser. Il se trouvait qu'elle était naturellement douée pour ça. Elle fit deux pas sur le côté. Elle ne quitta pas l'animal des yeux. Son couteau de chasse était glissé dans son étui, sur son bras gauche. L'autre plissa les yeux, ouvrit la gueule, découvrant une rangée de crocs énormes. Elle avala sa salive. Elle avait un peur et cette horreur pouvait le sentir ! Elle plia les genoux et d'instinct, s'élança sur la créature. Moment que choisit le Daenkil pour plonger également. Sauf qu'il n'avait pas prévu, comme toute créature qui pense terrifier tous ceux qu'il croise, que sa victime souhaitait rester en vie. Le couteau se planta dans sa carotide, lui découpa ensuite la jugulaire et remonta vers son oreille droite, lui arrachant la mâchoire. Il mourut sans comprendre ce qui lui arrivait. Son père avait toujours appris à Nella a respecter les animaux, alors elle s'assit sur les talons et récita une prière pour remercier dame nature de lui offrir un bon repas. Elle n'était pas croyante, mais son père croyait que la forêt était agressive parce qu'elle se sentait bafouée. Il pensait que si on la respectait suffisamment, si on ne tuait pas trop, seulement pour survivre, elle le sentait. Que si on accordait du respect aux créatures qui nous nourrissait, elle le sentait également. Et peut-être qu'il avait raison parce que le reste de son retour se passa sans encombres majeurs.
La troisième fois, elle rencontra Iarek. Elle ne l'aimait pas trop. Au centre de formation, il était arrogant. Il pensait que parce qu'il était fils d'une famille fortunée – il était un des rares à ne pas être orphelin – il allait être mieux traité que les autres. Il s'était rapidement rendu compte que ça n'allait pas être le cas, pourtant il ne s'était pas débarrassé de son air de crâneur. Cependant il était seul et au centre de formation, la solitude c'était la mort. Nella n'avait aucuns amis, mais elle excellait dans tous les cours alors personne ne s'approchait d'elle. Ce qui n'était pas forcément mieux puisque cela signifiait qu'elle leur faisait peur. Cependant, lorsqu'elle croisa le fameux Iarek, il était en bien mauvaise posture : attaqué par un navd. Elle rit à l'intérieur puis se résonna, elle ne pouvait pas le laisser mourir ici, sinon elle ne respectait pas la mémoire de ses parents. Elle se jeta donc sur lui et fit ce qu'on leur avait appris au centre de formation : elle planta son couteau dans le bras de son compagnon. La douleur seule pouvait sortir la victime d'une transe provoquée par un navd. Elle le traîna ensuite à distance suffisante pour qu'il puisse reprendre ses esprits. Il resta allongé un moment contre elle, sa respiration se soulevant petit à petit. Nella se sentit mal. Le corps d’Iarek avait stoppé toutes transformations pubertaires et son physique était plus androgyne que masculin. Ses traits étaient fins et réguliers et aucun poil ne venait recouvrir sa peau. Il en était de même pour tous les garçons du centre de formation. Pour les filles, cela se voyait moins car leurs seins poussaient de toute façon. Cependant aucune n'était réglée et elles ne connaissaient pas les désordres hormonaux – acné ou cheveux gras par exemple – que pouvaient subir des adolescents normaux. Les gardiens rouges étaient des poupées parfaites et sans défauts. Ils restaient cependant des êtres humains et le désir, même sans reproduction, était bien présent. Cependant, les relations étaient prohibées. Ceux qui étaient surpris en plein acte de «copulation» disparaissaient pour toujours. A part son père, Nella ne savait pas à quoi ressemblait un homme normal puisque tous les formateurs étaient des gardiens rouges. Cela lui fit peur. Elle ne trouvait pas attirant les visages graciles de ces homologues masculins, elle ne trouvait pas leur peau glabre attirante, elle ne trouvait pas leurs yeux rouges brillants. Elle ne trouvait pas leurs cheveux soyeux jolis. Elle ne voyait que des pantins. Elle ramena Iarek en quelques jours, chassant et se reposant le jour, marchant la nuit. La nuit, il y avait moins de prédateurs – étrangement – et les arbres semblaient plus tranquilles. Cette Forêt était décidément pleine de secrets.
Un soir, Diaedin vint s'allonger près de Nella. Iarek dormait près d'elle. Après sa mésaventure, il s'était mis à la coller et comme sa présence n'était finalement pas si désagréable, elle l'avait accepté à ses côté. Iarek avait le même âge qu'elle et il était blond. Diaedin, lui, avait la peau brune et les cheveux noirs. Ses yeux rouges rendaient mal mais ça n'était pas pire que sur Nella. Celle-ci était rousse aux yeux rouges, ce qui était encore plus effrayant. Le jeune garçon lui parla alors du massacre. Il avait entendu des rumeurs mais elle ne comprit pas ce qu'il voulait lui dire car il s'emmêlait les pinceaux.
  • Ils ont dit qu'ils ont retrouvés une survivante près de la Forêt et qu'ils l'ont abattue.
  • Qu'est-ce que ça veut dire...Depuis quand on tue des civiles ?
  • Mais eux n'étaient pas des civiles Nella ! C'était des Etracs !
  • Qu'est-ce que c'est ?
  • Euh...Sérieusement ?
  • Je ne vois pas comment j'aurais eu connaissance de cette «race», on est enfermés en cours toute la journée et quand on est en «excursion» on ne risque pas d'en apprendre plus sur le monde extérieur...
  • Pas faux...
  • D'ailleurs, où as-tu entendu ça petit fouineur, railla Iarek qui s'était réveillé.
  • Dans les cuisines, marmonna Diaedin, contrarié par le surnom donné.
  • Raconte, lui demanda Nella d'une voix douce.
  • Très bien ! S'exclama le garçon, ragaillardi par l'entrain de son amie. J'écoutais donc aux cuisines parce que je sais que Parkin et Karo parlent toujours du dehors quand ils ont terminé leur service. Et ils ont parlé de ça.
  • Ça ne me dit toujours pas ce qu'est un Etrac, souffla Nella.
  • Etrac c'est un mot interdit, siffla Iarek rageur. Ce sont des...
  • Je te rappelle que mes parents l'étaient, le coupa Diaedin. Que je le suis aussi mais que les formateurs l’ignorent. Tu veux que je meure ?
  • Non mais...
  • Les autres sont comme moi Iarek, murmura le jeune garçon d'une fois glaciale.
  • Pardon.
  • Bref je reprends ! Les etracs ce sont les guerriers de la forêt Nella ! Nous sommes les gardiens des arbres et les pacificateurs du nouveau monde !
  • Mais ça c'est votre Courtère qui vous monte le bourrichon ! Protesta Iarek.
  • Pas du tout !
  • Bon ça suffit tous les deux, s'emporta Nella. Je veux dormir !
Les deux garçons se turent. Diaedin était déçu. Il pensait que ça aurait intéressé la jeune fille. C'est pourquoi, lorsque Iarek se fut rendormi, il s'approcha de Nella et lui chuchota à l'oreille «si tu veux, la prochaine fois qu'on part, je te montre». Elle ne répondit pas. Il crut qu'elle dormait. Ce n'était pas le cas.

samedi 4 mai 2013

Chapitre 2

 

 

           Comme promis à l'excursion suivante, Diaedin tint parole. Nella était toujours assez impressionnée par la capacité de son ami à tenir ses engagements.
Avant qu'elle passe du temps avec Iarek, Diaedin était le seul avec qui elle échangeait des mots. Au centre de formation, ils mangeaient généralement en silence ou alors il lui racontait comment il avait ressenti ses journées ou comment s'était passé son dernier «retour». Diaedin avait onze ans et Nella l'avait vite pris sous son aile parce qu'il semblait fragile. Elle avait déchanté en le voyant abattre un de leur camarade avec un beretta. Bon, bien sûr, ça ne prouvait rien, mais se dire que le psychopathe de service était votre seul ami n'avait rien de rassurant. Pour sa défense, Diaedin avait vécu dès l'âge de cinq ans dans la rue, il avait donc eu le temps de se faire violer/battre/voler/écrabouiller, rayez la mention inutile. Il ne lui avait jamais rien raconté, si ce n'est les raisons pour lesquelles il avait fini là : son père était un traître. Il avait d'ailleurs lui aussi un tatouage sur le bras, mais pas le même que le sien. Celui de Diaedin était «01100». Encore un mystère. Il était le seul à posséder ce tatouage-là. Nella avait croisé d'autres «1100110» mais aucuns n'avaient de triangle inversé à la suite, elle était donc elle aussi une anomalie du système.
Lorsqu'il lui montra. Elle fut d'ailleurs un peu effrayée. Parce que Diaedin décida de lui prouver ses dires sur un craquolier. Ils en cherchèrent un toute la journée et finalement, lorsqu'ils tombèrent dessus – un craquolier se repérait à plusieurs dizaines de mètres de distance – ils s'en approchèrent. Diaedin lui intima l'ordre de rester à une distance de sécurité suffisante tandis qu'il tendait les bras vers le soleil. Alors qu’elles étaient censées être les heures les plus dangereuses d'exposition solaire, lui se tenait là, souriant et n'ayant pas l'air de brûler sous l'effet des rayons ultra-violet. Lorsqu'il jugea bon de continuer son chemin, elle le regarda s'avancer vers l'arbre. Il se passa quelque chose de très étrange. L'arbre ne fit absolument rien. Diaedin lui tournait autour, lui lançait des choses – sans pour autant le toucher – et la plante ne bougeait pas. Un humain normal serait déjà mort pour avoir ne serait-ce que regardé l'arbre. Elle regardait son compagnon frôler la mort de très près et sans pouvoir intervenir. Il revint vers elle, fier comme un daenkil, la regardant, attendant ses impressions. Iarek était depuis longtemps évanoui, son avis n'était donc pas attendu pour le moment. Nella ne trouva pas tout de suite quelque chose à dire parce qu'elle réfléchissait. A quelque chose de bizarre qui ne l'avait jamais frappée jusqu'à maintenant mais qui à présent l’interpellait.
  • mon père aussi...
  • Quoi ! S’exhorta Diaedin. Je te montre mes supers-pouvoirs – interdits – et toi tu me parles de ton père ! C'est quoi cette arnaque !
  • Non tu ne comprends pas, soupira-t-elle. Mon père aussi s'entendait bien avec...euh...la Forêt.
  • C'est-à-dire ? Dit l'autre soudainement plus intéressé.
  • Si je te dis qu'il offrait des bouquets de marguerite à ma mère ça veut dire quelque chose ?
  • Un peu oui ! Ça veut dire que ton père était probablement un etrac ! Mais j'aimerai savoir comment il a fait pour sa balader avec ça dans la ville sans se faire repérer !
  • Il parlait d'un fleuriste...Je ne savais pas encore que c'étaient si dangereux...
  • Probablement un collaborateur...
  • Peut-être.
  • Mais ça veut dire que tu es etrac toi aussi !
  • Je n'ai pas de pouvoir pourtant.
  • Ça ne veut rien dire du tout. Peut-être qu'ils ne sont pas encore réveillés, souvent il faut un choc, ou peut-être que tu es etrac de niveau zéro.
  • Euh...c'est-à-dire ?
  • Il y a plusieurs niveaux. Etrac niveau zéro, comme moi. On peut seulement guérir les autres avec nos capacités et se faire aimer des arbres, mais ça c'est tous les etracs qui peuvent faire ça. Enfin je veux dire se faire aimer des arbres. Guérir c'est spécifique au niveau zéro. Et on est supers rares !
  • Je suppose que c'est héréditaire.
  • Pour les niveaux zéro oui. Pour les autres non. Je sais qu'on peut-être niveau un et avoir enfant etrac de niveau zéro ou de niveau deux.
  • En tout cas moi je suis sûre que je n'ai pas de pouvoir.
  • Mouai bah j'en suis pas si sûr moi...
  • La discussion est close.
Le retour vers le centre de formation fut pour la première fois silencieuse. D'habitude, s’ils se croisaient et rentraient ensemble, ils parlaient toujours très fort et se taisaient une fois les murs en vue. Iarek marchait devant et râlait tout seul devant le manque d'instinct de survie de ses compagnons, Diaedin en second, réfléchissait et fermant la marche, Nella, qui angoissait. Elle n'avait jamais entendu parler des etracs mais ça ne devait pas être une bonne chose puisque Diaedin avait été épargné uniquement à cause de son jeune âge et parce que son pouvoir était plutôt utile.
Plus tard, elle angoissa encore plus. Diaedin avait à présent douze ans – elle en avait treize – et comme il était majeur aux yeux de la société, il pouvait désormais être utile. La formation initiale des gardiens rouges n'étant pas finie du tout, les trois amis n'avaient pas saisis ce que cela signifiaient. C'est en voyant que leur ami ne revenait pas que Iarek et Nella se posèrent des questions. Ils attendirent une semaine puis deux, mais Diaedin ne revenait toujours pas. Finalement, la troisième semaine, pour retourner en excursion, il fut là. Il était pâle et semblait épuisé mais il ne leur dit rien. Il avait toujours été silencieux.
Plusieurs mois passèrent. Diaedin était souvent réquisitionné pour être utile et Nella et Iarek ne le voyait plus qu'aux dîners obligatoires. La plupart du temps, il était trop fatigué pour aller en cours. Étrangement, personne ne lui faisait de remarques. Cela devint encore plus étrange lorsqu'il commença à rater les repas. Les seuls moments où il était avec eux étaient les excursions. Plus ses absences augmentaient, plus il semblait se tasser, devenir de plus en plus maigre, de plus en plus chétif. Nella voyait son ami devenir un vieillard sous ses yeux. Des rides commençaient à creuser son visage alors qu'il n'avait qu'une douzaine d'années.
Pendant qu'il n'était pas là, Iarek et Nella c'était cependant rapprochés. La jeune fille perdant de plus en plus son confident, elle s'était tournée vers la branche la plus solide de leur étrange trio. Elle ne lui parlait pas plus, n'était pas plus proche physiquement. Cependant, s’il allait quelque part elle le suivait. Si il avait terminé de manger, elle aussi, même si son assiette était encore pleine. Elle ne voulait pas faire un pas sans lui, parce que c'était devenu trop dur d'être seule quand on a connu l'amitié et l'amour des gens qui nous sont chers. Nella attendait souvent que la nuit tombe et elle se tournait vers Iarek, le regardant dormir, paisible. Il semblait le moins comprendre ce qui arrivait. Avec ses cheveux blonds bouclés et ses yeux rieurs. Avant, ils étaient bleus d'après lui. Sa peau, d'un caramel marqué, contrastait avec cette couleur soleil. Elle n'avait jamais compris cette étrange assemblage tandis qu'elle, monstre aux cheveux rouge, elle restait perpétuellement blanche comme l'ivoire, malgré son temps, parfois trop long, d'exposition aux U.V. Elle voyait d'ailleurs certains camarades de la garde rouge revenir complètement brûler. Ces nuits où elle regardait son ami, elle remerciait on ne sait qui pour avoir fait une peau solide à ce garçon qui était devenu aussi proche qu'un frère pour elle.
  • Nella ?
  • Oui ?
  • Tu crois qu'on va mourir ?
  • C'est possible. Pourquoi, tu as peur ?
  • Oh non. J'ai plus peur de me retrouver sans toi et Diaedin. Et toi ?
  • J'ai peur de mourir oui, mais pas pour les mêmes raisons que les autres. Je n'ai pas peur que ma vie s'arrête.
  • Tu as peur de quoi alors ?
  • J'ai peur qu'elle s'arrête ici, dans les mains de ces gens-là.
Encore un mois passa, puis un deuxième et finalement, Diaedin revint définitivement et put reprendre les cours normalement. Il semblait mystérieusement soulagé et du jour au lendemain, il retrouva toutes ses forces et son entrain habituel. C'était lui qui implorait désormais pour aller manger à la cantine et les deux autres qui traînaient le pas. Ils étaient assez bouleversés de voir leur ami revenir d'entre les morts mais ils étaient également soulagés. Nella surtout, qui avait cru qu'elle le perdait vraiment. Maintenant que sa petite tête de malade était dans les parages, le monde avait retrouvé son équilibre et elle se retrouvait – pour la première fois depuis longtemps – sur un petit nuage. Qui ne dura bien évidemment pas longtemps. Mais ça, elle ne pouvait comme d'habitude pas le prévoir.
Pour leur examen de passage en seconde année de formation, les formateurs les mirent par groupe de trois – comme par hasard – et leur ordonnèrent de rentrer une nouvelle fois en vie. Or, cette fois, ils ne seraient pas jetés au hasard dans la Forêt, un coup du sort décidant si ils allaient vivre ou mourir. Cette fois, on les éparpillerait dans le plus gros nid de craquoliers de la région. Cette fois, il allait falloir se battre pour survivre. Et probablement que certains y laisseraient la peau. Ils ne croyaient pas si bien dire.
Cette épreuve de moisson fut probablement la plus meurtrière depuis la création de l'Ordre rouge. Il y eu tant de victimes déplorées cette année qu'on se demanda même si on n'allait pas faire une nouvelle épreuve pour déterminer les vrais gardiens rouges. Il y eu quand même trois survivants. Alors on décida que l'épreuve était parfaite.
Ce jour-là, Nella, Iarek et Diaedin venaient d'être déposés en pleine Forêt. Diaedin allait beaucoup mieux. Il avait retrouvé son caractère bien trempé et son comportement de fou dangereux envers les autres. Il semblait être redevenu le même. Nella savait cependant que ça n'était pas le cas. Il avait changé, elle le sentait dans ses yeux, dans sa manière de se déplacer, dans ses veines. Tout en elle lui hurlait que son ami était mort, mais elle ne pouvait pas l'accepter. Son esprit se refusait d'admettre qu'un être qu'elle aime lui échappa encore. Elle marchait, encadrée des deux garçons, quand les premiers hurlements retentirent et qu'ils virent débouler devant eux une horde d'enfants de leur âge, terrifiés, la mort aux trousses. Un tremblement suivait les enfants. Nella saisit ses camarades par les poignets et leur intima l'ordre de ne plus bouger, de ne plus respirer, de ne plus parler. Les lianes passèrent sans les voir et comme ils ne bougeaient pas, elle ne les distinguèrent pas non plus. Leur retour fut encore plus atroce. Dans l'impossibilité la plus totale de faire quelque chose, Nella, Diaedin et Iarek, durent regarder les lianes revenir avec leurs camardes. 
A certains, il manquait déjà des membres, d'autres étaient déjà morts, étouffés dans les anneaux terribles des branches de l'arbre. Comme si le spectacle n'était pas encore suffisamment atroce, un arbre près d'eux se trouva des victimes et bientôt, les deux arbres se disputèrent le corps d'une jeune fille encore vivante. Ses hurlements de terreur et d'agonie retentirent longtemps après dans la forêt profonde. Des échos d'horreur résonnaient tour à tour à droite et à gauche. Sans répits. Finalement, après avoir attendu que les arbres près d'eux cessent de remuer, les trois survivants présumés se relevèrent et se mirent à courir. Ils couraient le plus vite possible, évitant les lianes et découvrant sur leur passage la mort cruelle connue par leurs camardes. Il fallait suivre les corps et cela menait à la sortie, aussi horrible soit-il. Nella entrevit la sortie quelques secondes avant que Iarek ne touche le sol. Elle entendit un bruit sourd et se stoppa. Le silence remplit brusquement ses oreilles, suivit d'un sifflement si intense qu'il lui vrilla les tympans plusieurs secondes. Son ami était au sol. Il était touché. Que fallait-il faire. Il fallait faire quelque chose. Iarek, lui, gisait sur le ventre, un couteau planté dans l'omoplate. Il avait du mal à respirer et suffoquait déjà, son masque pourtant plaqué sur son visage. Lorsque Nella sortit de sa transe, elle découvrit avec une surprise teinté d'effroi qui était le responsable. Ce n'était pas un élève qu'elle ne connaissait pas. Ce n'était pas une personne qu'elle n'avait jamais croisé auparavant et qui aurait voulu faire ça uniquement pour sauver sa vie. Celui qui avait lancé le couteau dans le dos de leur ami, c'était Diaedin.
  • Qu'as-tu fait ? Hurla-t-elle en se jetant sur le corps d’Iarek et en lui caressant la joue pour le maintenir éveillé. Pourquoi as-tu fait ça ?
  • Parce que je dois te réveiller, murmura son jeune ami d'un ton teinté d'amertume et de...regret ?
  • Me réveiller ? S'écria Nella en pleurant à chaudes larmes. Mais qu'est-ce que ça veut dire ! Je ne comprends plus rien du tout !
  • C'est toi qui va tous nous sauver Nel...
  • Ferme-la ! Cracha la jeune fille en tentant de tirer Iarek vers elle et en le serrant contre lui. Ferme-la !
Nella ne savait pas quoi faire, alors elle fit la seule chose qui était censée : protéger sa famille. Et sa famille se résumait désormais à Iarek, puisque Diaedin avait décidé que ce n'était pas une condition à prendre en compte avant de planter quelqu'un. Elle foudroya le garçon du regard et plaça son couteau devant le blond qui continuait de perdre du sang et de gémir de douleur.
  • Tu me menaces ? S'amusa le gamin, un sourire narquois s'étirant sur ses lèvres.
  • Tu as blessé mon ami, souffla Nella, sa voix se brisant en prononçant ce «mon ami» qui insinuait que Diaedin n'était plus le sien.
Elle sentit qu'elle avait touché juste parce qu'elle vit son compagnon cligner imperceptiblement des yeux. Signe que non seulement elle ne se trompait pas mais qu'en plus, ça lui faisait très mal. Il la regarda quelques instants, secoua la tête et fit demi-tour, sans jeter un seul regard en arrière. Il les laissait là, seuls, abandonnés en pleine Forêt. Il les laissait à la mort. Nella aurait voulu crier mais elle n'avait pas assez de force. Elle sentit soudain que quelqu'un l'aidait à porter Iarek. C'était bien sur Diaedin. Pourquoi était-il revenu ? Elle ne le sut jamais. Parce qu'à ce moment-là, les lianes d'un craquolier s’abattirent sur eux.
Ce fut à la fois brutal et rapide. Elle regarda d'abord les lianes s'enrouler autour des jambes d’Iarek qui s'était mis à hurler de terreur. Il gigotait dans tous les sens mais plus il tentait de défaire ses liens, plus ceux-ci se refermaient sur lui. Il devint violet, puis rouge, et lorsque son corps craqua, Nella avait déjà fermé les yeux. Ça ne l'empêcha pas de vomir pour autant. Diaedin pendant ce temps, ne bougeait pas. Il tentait de convaincre les arbres de les laisser partir mais son pouvoir n'avait pas l'air d'être suffisant parce que plus le temps passait, plus lui aussi commençait à changer de couleur. D'abord blanc, ensuite violet. Il suffoquait et elle entendit distinctement ses côtes se rompre les unes après les autres. Elle sentit son esprit basculer brusquement dans quelque chose de noir et de dangereux qu'elle ne voulait pas connaître. Dans son délire, elle sentit ses propres os se mettre à craquer. Mais elle n'émit aucun son. Elle vit juste une grande lumière bleue.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle était couverte de liquide vert et gluant. Elle se releva brusquement et constata que les branches du craquolier gisaient autour d'elle. Ils semblaient avoir été arrachés par quelque chose d'énorme, vu les balafres qui étaient restées sur le tronc. Elle avisa ses deux amis près d'elle. Le plus proche était Diaedin. Elle se précipita sur lui. Il respirait encore mais avec difficulté. Au moins, il était vivant ! Elle vit ensuite le corps d’Iarek et elle ne put contenir un hurlement plein de larmes. Iarek n'était pas mort. Mais son corps avait pris un angle tellement inhumain qu'il devait actuellement souffrir le martyr. D'ailleurs, il respirait à peine. Elle traîna Diaedin vers lui et le réveilla par des claques en plein visage.
  • Nella...Que...Que s'est-il...
  • Soigne-le ! Cria-t-elle désespérée. Soigne-le !
  • Soigner qui ?
  • Iarek ! Aide le je t'en prie !
  • Je...D'accord.
Il se releva tant bien que mal. Iarek gisait sur le dos. Même si il n'avait plus vraiment de dos à proprement parler. Diaedin ferma les yeux et se mit à psalmodier des paroles que Nella ne comprenait pas. En tout cas, personne ne les attaquait. Un silence de mort régnait dans la Forêt et les craquoliers semblaient se tenir désormais à une distance plus que respectable d'elle. Elle vit les yeux de son ami se colorer en turquoise puis ses mains se teinter de jaune. Des boules d'énergie se formaient au bout de ses doigts et il les envoyait dans le corps d’Iarek. Et plus l'énergie entrait en lui, plus ses cheveux blonds reprenaient leur aspect soyeux, plus son teint redevenait lumineux et coloré. Plus il reprenait vie. Iarek finit par être entouré d'un immense halo de lumière dans lequel il disparut. Quand Diaedin eut fini, il s'écroula sur le dos. Son ami était vivant. Nella était folle de joie. Mais cela fut de courte durée. Parce que le bout d'une lance dépassait maintenant de la gorge de Diaedin. Elle se figea. Le temps ralentit alors brusquement et elle put distinguer un mince sourire sur les lèvres, «je t'aime» muet de son ami, tandis qu'il s'écroulait au sol. Lorsqu'elle regarda l'auteure du meurtre, Nella n'en cru pas ses yeux. La meurtrière, elle la connaissait très bien, s'appelait Violetta. Elle n'eut pas le temps de lui dire de s'arrêter que l'autre était déjà repartie en sens inverse, poursuivie par les craquoliers. Nella hurla longtemps devant la dépouille de son ami. Mais elle dût se rendre à l'évidence. Iarek était mal en point et il avait besoin d'être transporté quelque part. Il fallait qu'ils rentrent. Elle le saisit donc par l'épaule et c'est à pied qu'elle rejoignit le camp de base. Elle mit cinq jours.
  • Cher élèves ! Vous êtes reçus en deuxième années ! Je suis fier de dire que je l'avais prévu ! Même si nous regrettons la perte malheureuse d'un de nos meilleurs éléments, Diaedin Faoussi. Il nous manquera énormément, comme tous les autres d'ailleurs ! Que leur âme repose en paix !
Nella regarda son bracelet-émetteur. Son tatouage. Aujourd'hui, Diaedin était mort et il n'avait pas eu le temps de lui révéler ses secrets. De lui dire ce qui se passait avec les etracs. Qui ils étaient et qui elle était par-dessus tout. Elle se releva soudain brusquement dans son lit. Le bracelet ! Il clignotait ! Elle attendit quelque instant espérant quelque chose, un signal, mais non. L'appareil resta silencieux. Elle se rallongea et se fut terrassée par le chagrin qu'elle passa sa première nuit d'insomnie. La première d'une longue liste de nuit passées à ne rien faire d'autre que s'entraîner. Devenir la plus forte, la plus rapide, la plus experte dans le maniement des armes. Elle ne laisserait personne la vaincre. Ni Violetta, Ni Iarek. Celui-ci n'avait d'ailleurs aucuns souvenirs de l'accident et s'était tant mieux. Ainsi, il garderait une image intacte et bonne de son ami mort. La mémoire de Diaedin ne serait pas salie par des moments de doutes passés. Il serait en paix. Du moins se le jura-t-elle.

vendredi 3 mai 2013

Chapitre 3

 


          La seconde année de formation se passa beaucoup mieux que la première aux yeux de Nella. Ils ne furent plus que trois et eurent donc le droit à des chambres individuelles – Nella ne supportait pas les hurlements des autres en pleine nuit. Ce fut extrêmement reposant, même si elle même était souvent la proie de terreurs nocturnes intenses, longues et douloureuses. Elle se réveillait la plupart du temps en sueur, brûlante et éclatait en sanglots. Ensuite elle se recouchait et le lendemain elle avait généralement tout oublié. Iarek avait également changé après l'examen de passage. Lui qui auparavant se vantait et paradait pour étaler sa réussite était devenu beaucoup plus modeste. Il n'était maintenant expansif qu'avec Nella et il s'arrangeait également pour écarter les gêneurs qui venaient régulièrement la voir. En effet, l'examen de passage avait fait beaucoup de bruit. Elle était revenue en portant Iarek sur ses épaules et couverte de sang. Personne n'avait compris ce qui s'était passé. Violetta, qui avait réussi à rentrer malgré tout, avait été très mécontente et Nella en avait fait les frais les jours suivants. Mais la jeune fille n'y avait pas fait attention. Depuis la mort de son ami, elle vivait dans un unique but : sortir d'ici. Elle voulait partir, retrouver sa mère et comprendre ce qui s'était passé dans la forêt. Elle avait eu de nombreux flashs après. Des flashs de l'attaque. Mais à chaque fois, elle se sentait partir et enveloppée par une lumière douce et rassurante. Ensuite, ne lui restait que la sensation infâme du sang de craquolier sur ses vêtements et son visage. Elle voulait oublier tout ça. Sauf que les autres élèves ne l'entendaient pas de cette oreille et la plupart venaient la voir pour savoir. Comment avait-elle fait pour survivre alors qu'ils étaient tombé en plein milieu du nid de craquolier et non aux frontières comme d'habitude ? Pourquoi ne disait-elle rien ? Était-ce elle qui avait tué Diaedin ? Celui qui avait dit ça s'était retrouvé à l'infirmerie la minute suivante. Il y eu aussi de nombreuses insultes – beaucoup d'élèves la rendait responsable de la mort de garçon – et de reproches. Cependant, même si la plupart de leurs questions n'avaient pas de sens, Nella était intriguée par la plus fréquente. Après tout c'était vrai ça. Pourquoi avaient-ils été lâchés à cet endroit là, alors que les formateurs savaient pertinemment que c'était du suicide d'y envoyer des premières années ? Si son équipe avait survécu à l'arrivée, c'était à cause du pouvoir de Diaedin. Quand il était mort, c'était parce que...Eh bien parce que les craquoliers avaient peur d'elle. Ça n'était plus du respect ou de l'amitié comme ils avaient pu en témoigner au jeune etrac, c'était de la crainte et elle avait sentit la peur suinter de leurs branchages en rentrant au centre. Elle n'avait absolument pas comprit leur comportement et ça avait été très perturbent de les voir s'écarter sur son passage. Ils n'avaient pas non plus été attaqués par des daenkils ou des kriss d'ailleurs.
Mais Nella ne voulait plus penser à tout cela alors elle cessa de répondre la même réponse à ceux qui venaient la voir et le nombre de ses spectateurs fini par diminuer et se tarir. Ce qui la soulageait plus qu'autre chose. La seconde année de formation était plus «douce» mais elle était également plus intense. Les cours devenaient de plus en plus difficiles et même si elle n'avait pas de mal à tenir la route, elle était obligée d'aider Iarek si elle ne voulait pas le perdre lui aussi. Paradoxalement à cela, si l'enseignement était plus stricte, la discipline, elle, se relâchait. En seconde année on avait de nouveau le droit de se laisser pousser les cheveux, on avait un nouvel uniforme – celui des premières années était blanc, celui des deuxième années était noir – et on avait également de nouveaux privilèges comme par exemple une meilleure nourriture à la cantine. Nella se rappelait l'espèce de soupe infâme à laquelle ils avaient eu droit en arrivant au centre de formation. Maintenant, ils avaient droit à de la nourriture consistante : de la viande, des légumes, des féculents. Ils avaient également le droit à une nouvelle arme, la seule qu'on leur ai donné jusqu'à maintenant étant le couteau de chasse. A l'entrée en deuxième année, ils avaient eu droit à tout un équipement militaire constitué d'un beretta, d'un sniper, d'un fusil de chasse ainsi que de plusieurs grenades explosives, éblouissantes ou empoisonnées. On leur donnait également un nouveau masque filtrant de meilleure qualité, des vêtements de protection solaire plus efficaces et des chaussures qui n'étaient pas fichues au bout d'une semaine passée en excursion.
Nella faisait la fierté des formateurs. Elle fut prédestinée à être la major du centre de formation et on hésita à la faire passer directement en troisième année. Mais à la demande de la jeune fille, on la laissa rester avec son ami Iarek. Nella ne se faisait pas d'illusions. Si elle passait en troisième année, elle ne pourrait plus le voir mais surtout elle laisserait une ouverture non négligeable à Violetta. Depuis que Nella avait essayé de la tuer dans les douches pour venger Diaedin, l'autre attentait à la vie de Iarek.
Nella passait de longues heures à écrire ou à s'entraîner. Lorsque les rayons U.V étaient trop puissants, elle restait dans sa chambre et elle écrivait dans un petit cahier. Elle avait des rêves, des envies et des désirs dont elle ne pouvait parler avec personne. Iarek n'avait quasiment plus d'hormones, il ne ressentait donc pas les pulsions sexuelles qu'elle pouvait ressentir. A quatorze ans, Nella avait du mal avec ça. Normalement, en début de seconde année, les filles changeaient et présentaient des comportements sexués. On les opéraient donc de nouveau. Mais c'était cette fois beaucoup plus long. Si en premier lieu on avait seulement stérilisé les jeunes filles au laser, il fallait leur éviter tout plaisir sexuel ou tout désir pour le sexe opposé. On les excisait donc pour éviter ce genre de désagrément. Elles n'avaient pas mal et n'ayant jamais connu l'amour ni les stimulations sexuelles, cela ne changeait pas grand chose à leur vie. Les garçons ne créant plus de testostérone, la castration n'était pas systématique pour que le désir soit supprimé.
Par chance, Nella prenait énormément sur elle pour ne pas laisser penser aux formateurs qu'il fallait également l'exciser. C'était une chose qu'elle voulait connaître et elle voulait protéger sa sexualité le plus possible. L'excision n'était pas systématique chez les filles parce qu'il arrivait – rarement – que certaines ne ressentent rien après la stérilisation. Nella fit semblant d'en faire partie. Parfois c'était vraiment très dur. Elle sentit cette envie monter entre ses jambes, caresser l'intérieur de ses cuisses et pénétrer en elle. Mais elle ne se touchait pas, se relaxait, pensait à autre chose. Les chambres étaient équipées de caméras et si on la surprenait, elle était bonne pour la table d'opération. Il n'en était absolument pas question. Les filles excisées se transformaient ensuite en machines sans sentiments et elles ressemblaient à des poupées. Nella avait même entendu dire que certaines se faisait également opérer pour qu'on leur retire l'aréole et le mamelon de leurs seins. Ça l'avait proprement dégoûtée. Violetta avait apparemment cette idée là aussi parce que la fois où Nella l'avait vue dans les douches, ses seins étaient...lisses. Et son vagin également. C'était effrayant. Nella avait discuté de ça avec une fille plus âgé qui avait subit l'opération, mais celle-ci était tellement endoctrinée qu'elle avait trouvé ça génial.
  • Mais tu devrais le faire toi aussi Nella ! S'était-elle amusée. C'est si bon !
  • Bon ?
  • Oui ! Tu n'es plus femme ou homme ! Tu n'as pas de sexe, tu es parfaite !
  • Je ne comprends pas très bien...
  • Les humains normaux ont leurs capacités réduites par le désir sexuel, les ébats, la reproduction, la copulation et le pire : les sentiments ! L'Ordre rouge nous a permis de nous émanciper de ces choses inutiles ! Nous sommes libres !
  • Tu trouves ?
  • Bien sûr ! Et c'est pour cela que nous sommes des gardiens rouges Nella, parce que nous sommes supérieurs aux autres humains. Nous ne sommes pas ennuyés par des préoccupations inutiles et nous savons la vrai valeur des choses. Nous ne nous embarrassons pas d'amour ou d'amitié et nous allons donc droit au but.
    Cela avait réellement effrayé Nella.
    Parfois dans les douches, lorsqu'elle était seule, elle se mettait face au miroir et regardait son corps. Elle était désormais formée comme une femme. Du moins, elle commençait. Ses seins avaient poussés et prenaient une jolie forme arrondie, ses hanches s'affinaient et ses fesses devenaient rebondies à cause du sport. D'ailleurs, son corps était taillé pour l'attaque et la course. Elle était finement musclée et en était plutôt fière. Elle semblait frêle en apparence et cela la faisait rire de penser qu'elle était sans doute plus puissante qu'eux tous.
    Un jour qu'elle était seul, Iarek s'assit à côté d'elle sur sont lit. Elle regardait le mur d'en face en réfléchissant et il la sortit de ses pensées. Elle le regarda. Iarek était gentil et il était beau mais il n'était pas malin. Il n'était pas non plus très dangereux et ses notes étaient vraiment mauvaises. Elle soupira. Si ça continuait comme ça, il allait mourir avant qu'on les envoient travailler réellement. Elle tourna la tête vers lui et haussa un sourcil en le trouvant bien sérieux pour une fois. Il lui demanda si ils pouvaient se cacher sous la couette et elle accepta. Ça avait l'air de le rassurer de faire ça. Ils restaient allongés face à face sous la couverture. Nella était sûr qu'il se sentait mieux parce qu'ils ne pouvaient plus être épiés de cette manière. Et comme personne ne leur avait jamais rien dit, ils avaient continués jusqu'à présent. Ils se regardaient dans les yeux, malheureux, ennuyés ou tout simplement absents.
    Toutes les pensées de Nella étaient dirigées vers Diaedin. Elle se rappelait souvent leurs longues conversations. Il lui parlait de sa famille qui était dans le sud et qui vivait dans les oasis. Toute sa famille était etrac de niveau zéro. Il lui avait parlé de son père qui était un érudit qui connaissait par cœur la littérature de l'ancien temps et qui aimait allait fouiller dans les ruines des villes englouties pour récupérer les vieux ouvrages oubliés. Il en avait une collection fantastique qu'il cachait sur un prétendu bateau volant appartenant à un de ses amis. Nella avait eu du mal à le croire. Un bateau volant ça n'existait pas. Mais elle ne lui en avait jamais fait la remarque. Parce qu'il racontait bien. Il lui avait parlé de sa grande sœur, Nour, qui était une excellente guérisseuse contrairement à lui. Elle savait soigner sans laisser de grosses cicatrices et elle savait où passer pour éviter la douleur au soigné. Il l'admirait beaucoup. Il avait également un grand frère d'un an son aîné. Il avait le même âge que Nella et apparemment il l'aimait également beaucoup. En fait, la plupart du temps, il lui parlait de lui. Peut-être parce que Nabil était le seul autre survivant de leur famille. Diaedin avait perdu la trace de son frère un peu avant que le centre de formation l'attrape. Ils étaient au marché – en train de voler – et il avait été attrapé par un gardien rouge en train de prendre une pomme sur un étalage. Nabil l'avait regardé dans les yeux et ils avaient tous les deux su ce qui allait arriver. Diaedin avait alors vu son grand frère s'enfuir et lui avait été emmené ici.
    D'après Diaedin, si Nella rencontrait un jour son frère, ça ferait des étincelles. Ils n'avaient absolument pas le même caractère et à coup sûr, ils se disputeraient comme des chiffonniers. Il avait cependant dit, sur un ton un peu trop mielleux, qu'il lui plairait probablement et ça n'avait pas vraiment plus à la jeune fille qui avait éludé. Elle ne voulait pas s'occuper de ça. Ça ne l'intéressait pas du tout de savoir si ce type était bien. Mais bizarrement, après la mort de Diaedin, elle avait repensé à son grand frère et souvent, la nuit, elle pensait à lui, à ce qu'ils auraient pu se dire, à ce qu'ils auraient pu construire. Elle s'imaginait qu'ils devenaient amis et qu'ils vengeaient tous les deux Diaedin en s'attaquant à l'Ordre rouge. Bien sûr, après ça, elle se sentait mal et s'endormait. Cependant, elle avait développé une sorte de curiosité pour ce frère qu'elle n'avait jamais vu.
    Iarek la sortit de ses pensées. Il s'était trop rapproché d'elle et ça ne lui plaisait pas. Elle rabattit brusquement la couette sur le lit et se releva. Il la suivit et la saisit par les épaules.
  • Tu ne veux pas que je t'embrasse ?
  • Non.
  • Pourquoi ?
  • Parce que je ne ressens rien pour toi Iarek.
  • Sérieusement ?
  • Je n'aime personne, soupira-t-elle en rangeant le linge qu'on lui déposait chaque mercredi matin devant la porte.
  • Ah bon ? Et c'est qui ce Nabil alors ?
  • Qui t'as parlé de ça ? Cracha-t-elle.
  • Il existe donc ? Et c'est toi il y a trois secondes. Tu as dit son prénom.
  • C'est le frère de Diaedin ! S'exclama-t-elle outrée. Il m'a traversé l'esprit parce que notre ami est mort en te sauvant la vie je te le rappelle !
  • Tu m'en voudras donc toujours ?
  • Je ne t'en veux pas, balaya-t-elle. Ne soit pas ridicule.
  • Mais si ! Chaque fois que nous parlons de Diaedin, tu me rappelles à quel point il a agit en héros et à quel point j'ai eu de la chance qu'il soit là ! S'emporta-t-il. Tu ne parles que de lui !
  • Oui, parce qu'il me manque ! C'est un crime peut-être ?
  • Non mais...
  • Si ! Coupa-t-elle. Si justement s'en est un pour tous les gens qui nous entourent ici ! Pour tous les autres avoir des sentiments est inutile !
  • Chut voyons, chuchota-t-il, on pourrait t-entendre.
  • Je m'en fiche, grogna-t-elle en rasseyant, son volume sonore ayant tout de même baissé.
    Nella fixa le bracelet-émetteur toujours accrochée à son poignet. Depuis la mort de Diaedin il n'avait plus jamais émit de signal. Pourtant elle en était persuadée, il renfermait quelque chose. Elle finirait bien par découvrir quoi de toute façon.
  • Nella Solein. Veuillez nous suivre.
    Nella leva la tête vers le formateur et haussa un sourcil. Qu'est-ce qu'il avait celui-là ? On ne lui avait jamais demandé d'interrompre un de ses cours. Et c'était en général mauvais signe quand un formateur venait vous chercher. Elle le suivit néanmoins sans dire un mot. Iarek lui jeta un regard inquiet en la voyant disparaître dans le couloir mais elle ne le vit pas. Les couloirs étaient la plupart des temps d'une blancheur immaculé. Celui qu'ils empruntaient en ce moment était rouge sang et c'était plutôt inquiétant. Nella décida de ne pas y faire attention malgré tout. Ça n'était pas parce qu'elle allait voir un haut formateur que ça se passerait forcément mal n'est-ce pas ?
    On la fit pénétrer dans un grand bureau aux couleurs épurées au milieu duquel trônait une table en fer entourée de chaises. Il n'y avait rien d'autre dans la pièce, si bien que Nella eu l'impression que celle-ci se refermait sur elle. C'était extrêmement inquiétant. On lui demanda de s'asseoir et elle resta une bonne quinzaine de minutes toute seule, à se demander à quelle sauce elle serait mangée exactement. Pas qu'elle eu peur de quoi que ce soit, non, mais c'était juste que si il fallait mourir, elle aurait préféré que ce ne soit pas ici et maintenant. Surtout dans un endroit où on vous privait de tout. Ou presque.
    Un homme entra finalement dans la pièce. Il avait les cheveux très courts, noirs et ses yeux étaient plissés comme ceux d'une fouine. Elle ne lui fit pas confiance dès le premier instant où il fut proche d'elle. Il commença par s'asseoir sur la chaise opposée à la sienne puis la jaugea pendant un temps qui parut à la jeune femme interminable. Soit il levait le menton, soit il la regardait par en dessus, psalmodiant des «bien, bien» ou des «intéressant» toutes les dix secondes. Il fini par prendre la parole et sa voix traînante semblable à des sifflements faisait froid dans le dos.
  • On m'a rapporté que tu es un excellent élément Nella.
  • C'est exact monsieur.
  • Bien, bien. Et comment te sens tu ici ? Tu y es à ton aise ? Confortable ? En sécurité ?
    Je m'y sens bien monsieur. Je m'y sens même très bien.
  • Bien, bien. Tes formateurs me disent que tu manies les armes mieux que personne ici et que tu serais la meilleure de l'académie. Penses tu que ce n'est pas un peu arrogant de dire ça ?
  • Je ne sais pas monsieur. Je pense simplement qu'on me juge plus forte que je ne le suis.
  • Tu insinues que les formateurs sont des menteurs ?
  • Non pas du tout monsieur. Je pense simplement que je ne suis pas si forte que ça. Je me sous-estime la plupart du temps.
  • Je vois, ce serait donc une erreur de ta part.
  • C'est cela monsieur.
  • Bien, bien. Je viendrais donc directement au fait. Que s'est-il passé à l'examen de passage ?
  • Comment cela monsieur ?
  • Ne me prend pas pour un imbécile Nella. Nous avons des caméras qui vous suivent dans la forêt tu sais.
    Nella avala sa salive. Elle ne comprenait pas et ses oreilles se mirent à bourdonner. Comment avait-ils pu ? Et surtout pourquoi lui parler de ça maintenant ? Elle n'avait pas prévu ça. Elle resta donc silencieuse en attendant que l'autre se remette à parler.
  • Tu sais Nella, je ne veux pas te faire peur. Je veux juste que tu m'expliques.
  • Je ne sais pas, lâcha-t-elle sincèrement.
  • Je remarque que tu ne me mens pas mais je ne comprends pas comment cela est possible...Si tu n'as pas fait ça, comment cela fait-il que nous t'avons vu le faire ?
  • Je...Je sais que je l'ai fait monsieur, balbutia-t-elle. Je ne peux juste pas l'expliquer.
  • Sais-tu, au final, ce qui s'est vraiment passé Nella ? Siffla-t-il d'une voix mielleuse.
  • Non.
    L'homme n'en dit pas plus et il se tourna dos à elle. Elle le vit appuyer sur un bouton et un écran sortit de nul part s'alluma. C'était une vidéo de l'examen de passage. L'homme mit en avance rapide et elle revit, avec dégoût, le massacre de ses anciens camarades de classe. Finalement l'homme appuya sur un autre bouton et le film continua normalement. La caméra suivait trois personnes. Nella reconnut sa tête rasée rousse, la peau caramel de Diaedin et les cheveux blonds de Iarek. Ils couraient, le plus vite possible, afin de sauver leur vie. Nella lut sur son propre visage la terreur et la panique mais elle ne dit rien. Diaedin poignarda finalement Iarek dans le dos et c'est avec un pincement au cœur que Nella dut revoir leur dernière confrontation. Ses hurlements étaient hystériques et si elle ne s'en était pas rendue compte sur le moment, à présent, elle se dit qu'elle était folle. Diaedin l'implorait de l'écouter mais trop effrayée et perdue, elle n'avait pas fait attention. Il semblait réellement effrayé lui aussi. La caméra filmait ensuite le craquolier, qu'eux n'avaient pas vu, qui mettait ses lianes en mouvement pour les attraper. Nella sentit le goût du vomi lui remonter dans la gorge en voyant les lianes s'enrouler autour d'elle et ses amis. Elle ferma les yeux quelques instants parce qu'elle ne voulait pas revoir ça une seconde fois. Elle rouvrit brusquement les yeux en entendant un hurlement. Ça n'était pas humain. Elle ne savait pas ce que c'était. Quelque chose tuait le craquolier. Ce quelque chose, c'était elle.
    Elle se vit, le corps bien droit, s'élever dans les airs. Elle ne bougeait pas mais quelque chose semblait découper les lianes qui essayaient de l'attaquer. Elle fini par ouvrir sa main et il en sortit une énorme boule de lumière qui vint s'écraser contre le tronc de l'arbre. Quelques secondes plus tard, il explosait. Elle tombait au sol. Une minutes passait sans que personne ne bouge puis elle se réveillait couverte de sang vert.
    L'homme arrêta le film et se retourna vers elle. Nella était tétanisée.
  • Alors ?
  • Je...Je ne comprends pas. Ce n'est pas moi. Ce n'est pas possible...
  • Et pourtant si ! C'est ta signature génétique et nous avons retrouvé des cellules t'appartenant dans le sang vert. D'ailleurs en analysant ton sang – oui c'était pour ça la prise de sang de la semaine dernière – nous avons remarqué des similitudes entre le sang de cet arbre et le tiens.
  • Mais c'est impossible !
  • Je suis humaine !
  • Non tu es une etrac.
  • C'est impossible et quand bien même. Je ne maîtrise pas mes pouvoirs.
  • Tu oses remettre mon autorité en question ! Hurla le haut formateur.
  • Non, pas du tout, murmura-t-elle d'une voix mal assurée.
  • Écoute c'est bien simple. Ta race en elle même est un péché est d'habitude on vous tue les tiens et toi. Diaedin n'est pas mort parce qu'avec son pouvoir de la guérison, nous alimentions nos recherches pharmaceutiques.
  • Que...
  • Oh il ne te l'as pas dit ?
  • Qu'est-ce qu'il aurait dût me dire ?
  • Que nous menions des expériences sur lui. Que ses absences, c'était pour que nous testions des produits sur lui, sur sa résistance et que nous puissions tester nos médicaments sans risque.
  • Vous êtes un monstre.
  • Je ne dirai pas ça à ta place. Tu vas y passer aussi.
  • Non ! Pas ça !
  • Oh si ma jolie. Nous allons te sucer ton pouvoir jusqu'à la moelle et quand tu seras vide, on te jettera comme le pauvre insecte inutile que tu es !
    Nella se leva, elle tenta de s'enfuir mais cinq formateurs entrèrent brusquement dans la pièce. Elle hurla, se débattit puis rien à faire. Elle regarda le haut formateur s'approcher d'elle. Elle hurla de nouveau. Puis tout fut noir.

Chapitre 4




             Quand elle se réveilla, Nella était dans la forêt. Elle était sur le dos et elle avait du mal à respirer. Elle cligna des yeux et sentit ses paupières se coller à cause d'un liquide poisseux. En levant les mains devant elle, elle se rendit compte qu'elle était couverte de sang. Elle puait d'ailleurs. C'était une infection. Le sang était sec qui plus est, elle devait donc être là depuis plusieurs heures. Elle se releva avec difficulté. Ses jambes avaient du mal à la porter. Cependant, elle était encore vivante et en état de bouger. Elle décida donc de s'enfoncer dans la forêt. De toute façon, elle ne pouvait plus retourner à Iryanthera maintenant. Les formateurs allaient la chercher.
Elle décida de retourner au nid de craquolier. Là-bas au moins, elle serait en sécurité.
Elle commença par chercher un plan d'eau. Elle devait se débarrasser du sang. Lorsque cela fut fait, elle lava également ses vêtements et se laissa sécher sur le sol pendant une bonne petite heure. Elle attrapa quelques kriss pour se sustenter et reprit la route.
Nella n'avait plus vraiment voyagé seule depuis un moment. Les deux premières excursions mises à part, elle avait toujours retrouvé Diaedin ou Iarek en cours de route. Et bizarrement, cela lui faisait du bien. Elle se retrouvait seule avec elle même et c'était plutôt reposant. Elle laissa ses pensées défiler tranquillement dans sa tête pendant qu'elle avançait. Elle regardait le paysage, ne se prenait pas la tête. Tout était tranquille – ce qui était plutôt étrange d'ailleurs – mais Nella n'y faisait pas attention. Elle était seule et surtout, elle était libre. Elle comptait bien en profiter.
Elle marcha donc ainsi pendant sept jours et atteint finalement le nid. Elle avait retrouvé le chemin non par instinct, mais simplement parce que les arbres l'y avait conduite. Elle apprécia cette forme de ses prétendus pouvoirs. Les craquoliers ne l'attaquaient pas et l'eau dont-ils s'abreuvaient ne semblait pas toxique contrairement aux autres étangs qu'elle avait pu croiser.
La jeune fille entreprit de se construire un campement de fortune, ce qui ne fut pas aisé puisqu'elle ne pouvait ramasser que les choses qui ne venaient pas de craquoliers. Or étant dans un nid, elle ne trouvait pas grand chose d'autre qui ne fut pas toxique ou agressif. Elle réussit cependant – avec beaucoup d'effort – a s'aménager une niche avec des énormes feuilles.
Nella regarda le soleil se coucher sur la canopée en repensant à l'étrange semaine qu'elle venait de vivre. Elle ressentit à la fois un bonheur intense et une extrême solitude. Et elle pensa également à Iarek. Son ami, qui se retrouvait à présent tout seul avec Violetta. Une violente vague de culpabilité la submergea. Elle l'avait laissé avec cette furie et maintenant, sa survie ne serait pas du tout assurée. Elle chassa cependant rapidement cette pensée de son esprit, ne voulant pas entacher sa liberté nouvelle. Nella n'avait connu l'amour que familiale et elle était trop jeune pour savoir ce que signifiait «haïr» ou «être malheureux». Elle avait déjà été triste parce qu'elle avait mal physiquement, mais jamais parce que sa douleur était mentale. Elle ne ressentais pas les mêmes émotions que Iarek, qui pouvait rentrer chez lui le week-end. Sa famille ne le reconnaissait pas vraiment, mais d'après lui, ils en étaient très fiers. Penser à la famille de Iarek amena Nella à penser également à la famille de Diaedin. Elle se mit à penser à son frère. Où était-il en ce moment et que pouvait-il bien faire ? Peut-être dans une rue à voler des pommes pour survivre ? Ou encore en train de soigner des malheureux grâce à son don ?
Le lendemain, Nella décida d'explorer son nouveau coin de paradis. Qui n'en était pas vraiment un finalement. Étant donné que les craquoliers massacraient tout sur leur passage sans distinction, il restait beaucoup d'ossement de pauvres premières années sur le sol et Nella avait été plutôt dégoûtée en se rendant compte que les arbres avaient même prévus une «poubelle» pour os d'humains. C'était une fosse, creusée grossièrement, où tous les os étaient entassés. La jeune fille avait réussi à surmonter son dégoût et avait poursuivi son chemin. Elle était également repassée devant la tombe de Diaedin – elle l'avait érigée avant de ramener Iarek – et fut soulagée de constater qu'elle était intact. Au moins, les arbres avaient un peu de dignité pour leurs morts. Même si on aurait pu se demander si Diaedin en faisait bien partie.
Elle tourna en rond plusieurs jours et beaucoup de choses lui apparurent. La première chose était que l'air semblait plus respirable dans le nid de craquoliers que dans le reste de la forêt. Deuxième chose, que l'eau était potable dans le nid des craquoliers. Troisième chose, les kriss étaient vraiment excellents dans cette partie de la forêt. Pas un seul malade ou en mauvaise forme ! Et pourtant, à l'entrée de la forêt, ils n'étaient pas forcément au top. Chasser était devenu très agréable et même si sa vie était un peu gênée par le port perpétuel du masque, elle s'y faisait. Elle ne l'enlevais que quand elle allait nager, parce que les émanations de l'eau évitaient la propagation des spores mais surtout parce que les plantes venimeuses n'étaient pas présent à moins de deux kilomètres du nid et que donc, leurs spores arrivaient rarement à bon port.
Nella fut également intriguée de constater que les kriss et les daenkils n'étaient pas affectés par la forêt toxique. Ils étaient pourtant des mammifères, tous comme les humains et leurs poumons fonctionnaient de la même manière. Or, ils se portaient tous bien voire mieux qu'elle.
Il est vrai que respirer dans la forêt était plutôt dangereux, parce que sans antidote, on mourrait dans les cinq minutes, cependant, dans le nid de craquoliers, les règles étaient différentes et Nella se demanda ce qui se passerait si elle essayait de respirer sans masque. Ne voulant pas mourir tout de suite, elle décida de repousser cette expérience, qui n'était pas vitale pour sa survie.
Une semaine après son arrivée, Nella fit la connaissance de nouveaux petits animaux qu'elle n'avait encore jamais vu : des quitzaks. Elle ignorait leur vrai nom mais leur cri – plutôt long d'ailleurs – ressemblant à ce mot, elle les baptisa donc ainsi. Ils avaient deux paires d'ailes sur les côtés latéraux de leur corps et étaient colorés d'un magnifique vert émeraude. Les plumes de leur queue étaient très longues et étaient jaunes, bleues et rouges. C'était un oiseau majestueux et apparemment très coquet puisqu'elle voyait souvent les petits et les grands se rendre aux différentes mares pour se nettoyer. Ils semblaient se nourrir de petits insectes qu'elle ne connaissaient pas et qui étaient tous rouges. Leur bec avait une couleur assez inhabituelle puisqu'il était noir et leurs yeux jaunes semblaient toujours vous demander la raison de votre présence. C'était cependant des animaux très affectueux car dès qu'elle passait à proximité d'un nid de quitzaks, tous le monde volait vers elle, se posait sur son bras, sa tête ou même sa main et ils marchaient tous comme ça jusqu'à ce qu'elle regagne le nid des craquoliers.
D'ailleurs, la cohabitation avec les gros arbres avait été difficile dès les premiers jours mais Nella avait décidé de prendre le taureau par les cornes et leur avait carrément parlé. Elle leur dit que c'était injuste, qu'elle venait de la forêt elle aussi et qu'elle ne leur faisait pas de mal. Elle dit qu'elle respectait toujours ses prises lorsqu'elle chassait et que c'était un terrible manque de respect à sa personne que de briser sa cabane à chaque fois qu'elle allait parcourir la forêt. Elle rajouta finalement à la fin que c'était du racisme que de la traiter de cette façon puisqu'elle avait elle aussi été rejetée par les humains.
Son petit discours larmoyant sembla avoir de l'effet parce que dès le lendemain, lorsqu'elle rentra, sa cabane était intacte.
Les jours suivants, Nella fit encore pleins de découvertes. Tout d'abord, elle sauva un petit daenkil de la noyade et comme si ce n'était pas suffisant, celui-ci la prit pour sa mère et il se mit à la suivre partout. Elle décida qu'un peu de compagnie ne lui ferait pas de mal et elle se décida donc à l'apprivoiser. Ce qui ne fut pas tâche aisée parce qu'il fallut tout d'abord lui trouver un prénom. Elle décida après maintes réflexions que «Loan» serait satisfaisant pour ce petit animal. Cependant, son dressage fut encore plus périlleux. Loan était arrogant, n'écoutant rien et pensant que s'attaquer à un craquolier était une chose intelligente. Elle dut redoubler d'effort pour lui faire comprendre les choses, encore plus pour lui faire distinguer les choses à faire et à ne pas faire en forêt. Elle décida de lui apprendre également à chasser car si elle devait être tuée, il fallait qu'il sache se débrouiller tout seul. Cette partie fut plus simple, notamment parce qu'elle reposait principalement sur les capacités primaires et instinctive de chasse que possédait le daenkil depuis sa naissance. L'avantage de cette rencontre, fut que Nella put découvrir de nombreuses choses sur ces animaux prétendument dangereux. En réalité, si on l'apprivoisait correctement, le daenkil pouvait être tout à fait correct. Il avait la capacité de sortir ses griffes uniquement lorsque son organisme ressentait du stress ou de l'inquiétude, or lorsque Nella le prenait sur ses genoux et lui caressait la tête, il n'avait pas le moindre nuage dans la tête. Il ne lui arrivait jamais non plus de perdre son sang froid en présence de viande fraîche ou de sang. Les daenkils étaient en fait des animaux plutôt calmes en dehors de leur nature de chasseurs et Nella était intriguée chaque jour un peu plus par son nouvel ami. Il la défendait également lorsqu'elle se retrouvait en situation délicate et il devint rapidement un atout à avoir dans cette grande forêt.
La soir, Nella prit également l'habitude de regarder le soleil se coucher sur la canopée. Avec Loan, elle grimpait tout en haut du plus haut des craquoliers et elle restait là des heures à penser, à se souvenir et à se dire qu'elle n'avait vraiment pas eu de chance dans cette histoire. Elle était seule.
Ça faisait trois semaines qu'elle se trouvait dans cette forêt et quand elle se réveilla ce matin là, elle eu un pressentiment étrange. Comme si son exil prenait fin. Elle décida d'aller pécher et après s'être dégagée de Loan qui lui servait d'oreiller pour la nuit, elle déjeuna rapidement et prit son harpon. Elle resta quelques instants sur la rive à contempler les eaux bleues du lac. Elle se sentait bien finalement ici et elle ne comprenait pas comment les humains avaient pu détériorer à ce point la planète pour qu'elle se rebelle de cette façon.
C'était un juste retour des choses mais elle trouvait ça dommage. Elle aurait voulu connaître la terre avant son invasion par les hommes et sa chute. Maintenant, tout n'était que violence, méfiance et toxicité dans la forêt.
Elle retira son masque, ses vêtements et plongea dans l'eau tiède. Elle chercha un petit moment avant de dénicher ce qu'elle voulait. Il y avait pas mal de petits poissons dans les rivières mais dans les mares ou les étangs, il y en avait de plus gros et pas forcément plus dangereux. En général, les petits poissons étaient très toxiques et plus ils grossissaient, moins ils risquaient de vous empoisonner. C'était d'ailleurs ce qu'on leur avait répété au centre «si vous devez pécher, pas de petits, que des gros». Elle en repéra un de taille ainsi imposante, qui nageait à reculons pour lui échapper. Elle nagea encore plus vite et alors qu'il tentait de se cacher sous un rocher, elle planta son harpon en plein milieu du corps du pauvre poisson. Il se tortilla comme il put mais avec son couteau, Nella avait taillé le bout du bois de façon à ce qu'une fois le poisson pris, il ne puisse plus s'échapper. Elle remonta à la surface et fut brusquement saisie par la surprise. Un autre humain se trouvait sur la berge ! Elle se cacha derrière une racine et l'observa. Il avait la peau foncée et de jolis yeux. Il regardait tout autour de lui. Elle détailla ses vêtements : une chemise blanche, probablement en flanelle et un pantalon en tissu rigide. Il portait également d'étranges bottes qui se rabattaient sur le haut. Autour de son cou brillait une chaîne en or et elle se demanda si il n'était pas un peu naïf de se balader comme ça dans une forêt et tout seul.
Elle vit Loan s'approcher de lui et s'extasia. Il allait le faire décamper ! Elle fut déçue de voir que l'animal venait juste de sympathiser avec l'intrus. Au lieu de le mordre, il venait de lui grimper dessus cet imbécile ! Elle se frappa le front. Il faudrait revoir les manières de ce Daenkil.
Elle décida cependant que si Loan ne faisait rien, c'était à elle de s'en occuper. Elle ne le tuerait peut-être pas mais en tout cas, elle le ferait déguerpir d'ici. Il n'était pas bon de rester près d'elle. Elle était un monstre. Un terrible monstre. Elle ne voulait pas tuer ce garçon. Pas seulement parce qu'il avait les yeux brillant mais aussi parce qu'il lui rappelait quelqu'un. En nageant vers lui, elle eu soudain un flash. Ce pouvait-il que ce type soit le frère de Diaedin ? Mais que pouvait-il bien faire ici et pourquoi maintenant ? Elle se dit qu'elle lui poserait directement la question. Elle allait prendre la parole quand elle se rendit compte qu'elle n'avait pas de vêtements. Mince ! Ce fut avec une frustration terrible qu'elle vit son petit tas d'habits à quelques mètres de la tombe de son ancien compagnon. Maintenant il ne lui restait plus qu'à prévenir l'intrus qu'il valait mieux garder les yeux bien fermés. En plus, il y avait les cicatrices sur son corps. Il ne trouverait sans doute pas ça beau du tout. Elle sortit de l'eau silencieusement et murmura :
  • Ferme les yeux je ne suis pas habillée. Si tu bouges, tu meurs.

Chapitre 5





     Il courait. Il voyait une flamme rouge devant lui. Elle s'intensifiait mais il ne comprenait pas le sens de ses paroles. Elle semblait chanter. Puis brusquement elle s'embrasa de plus belle. Il se mit à hurler.

Nabil se réveilla en sursaut, dans son lit, en sueur. Son cœur battait trop vite et il sentait ses muscles tendus à l'extrême. Cela lui fit mal, mais pas plus que la terreur qui l'habitait en ce moment. Si il y avait bien une chose qu'il détestait, c'était le feu. Depuis qu'il avait vu sa famille brûlée par la garde rouge, il n'avait plus jamais été le même. Il était resté seul avec son petit frère et ils avaient été obligés de mendier ou de voler dans la rue. Nabil avait toujours été plus indépendant que son petit frère, Diaedin. Il se rappelait à quel point cela l'agaçait quand le gamin venait s'accrocher à son pantalon parce qu'il était effrayé. En même temps, au moment où ils avaient été orphelins, Diaedin avait seulement cinq ou six ans. C'était encore un petit garçon. Nabil était également petit, mais il étais désormais le chef de famille. Il ne pouvait pas permettre de flancher. Il avait donc pris en main leur nouvelle vie, décidant des endroits où dormir et des endroits à éviter. Il avait également, pendant cinq ans, pris garde à ne pas laisser Diaedin tout seul dans un endroit qui n'était pas sûr et sécurisé. Il avait de trop nombreuses fois entendu les autres raconter les rafles de la garde rouge parmi les orphelins et c'était la dernière chose qu'il souhaitait pour son frère. Ce frère qui, en plus, semblait instable depuis la mort de leurs parents. Son comportement était violent et incontrôlable mais il passait également par des phases de pure gentillesse et de calme. Nabil ne s'inquiétait pas trop, lui même était passé par une phase de rébellion et d'envie de vengeance. En particuliers après l'enlèvement de Diaedin par la garde rouge. Il se rappellerait toujours les yeux exorbités de terreur de son petit frère mais également ce regard qui disait «fuis, c'est perdu pour moi». C'est avec un goût amer qu'il avait pris la tangente et s'était réfugié dans le coin le plus sombre et le plus sale qu'il avait pu trouver en attendant que les patrouilles s'en aillent. Elles faisaient en général une rafle par semaine, il serait donc tranquille au moins pendant quelques jours. Mais à quel prix ? Un impitoyable prix : la solitude mordante et le sentiment d'être un lâche pour la fin de ses jours.
Ces sentiments négatifs, Nabil avait cependant réussi à les canaliser et en faire une force. Lorsque les pirates l'avaient trouvé, il volait. Et il était plutôt doué pour ça. Un an avait passé depuis l'enlèvement de Diaedin et à treize ans, Nabil était déjà très habile pour n'importe quel type de larcin. Son erreur fut que sa victime était précisément la personne à qui il ne fallait pas essayer de voler des choses : le chef des pirates.
La première chose que Nabil avait retenu du capitaine Labruyère, c'était son énorme barbe noire, son sourire édenté, son bandeau noir et surtout sa formidable poigne quand il l'avait attrapé en train de voler. Il portait un lourd manteau de cuir noir, lui descendant jusqu'au chevilles et des bottes qu'il aimait à appeler – Nabil l'apprendrait plus tard – des bottes de mousquetaire. Nabil n'avait strictement aucune idée de pourquoi il appelait ces bottes de cette façon et d'ailleurs, il ignorait ce qu'était un mousquetaire. L'autre l'avait regardé de haut en bas, avait froncé les sourcils et avait dit d'un ton nonchalant alors qu'il lui broyait le poignet.
  • Etrac ?
  • Euh...ouai m'sieur, avait marmonné Nabil d'une voix mal assurée.
  • Allez on l'embarque, avait dit le grand homme en faisant un signe à ses collègues.
    Et sans autre forme de procès, Nabil s'était retrouvé embringué dans la piraterie.
    Il secoua la tête brusquement, ce n'était pas le tout de penser au passé, il fallait maintenant retourner sur le pont avant de se faire morigéner par l'un ou l'autre des seconds de Labruyère. Nabil était un garçon plutôt fin mais au corps finement musclé. Il avait hérité de ses ancêtre un délicate peau caramel et ses cheveux coupés court étaient d'un noir profond. D'ailleurs, il était un des rares hommes du sud qui était engagé dans la piraterie. Les autres, d'après le second Jenkins, préféraient manger des dattes et siroter de la bière dans leurs Oasis. Ça n'était pas l'avis de Nabil, mais il se gardait bien de le dire. Ses yeux étaient d'un bel onyx brillant et il lui était arrivé plusieurs fois – sans le vouloir – que des prostitués lui offre ses services gratuitement. A seulement quatorze ans, le jeune homme avait toutefois repoussé leurs invitations. Il n'était pas autant sûr de lui que ça et surtout, il avait été élevé dans l'idée que l'amour était un acte formidable à partager uniquement avec la personne qu'on aime. En s'habillant, il repensa au jour où il avait naïvement déclamé ceci devant les autres et à quel point l'humiliation et les rengaines de «tu connais rien aux choses de la vie» avaient été désagréables.
    Nabil avait un physique plutôt appréciateur mais comme le disait souvent son ami Léo, il n'en avait pas franchement conscience. Et quand Nabil y pensait, c'est vrai que la plupart du temps il restait dans son coin et ne cherchait pas spécialement à plaire, même si ce désir d'être remarqué émanait par tous les pores de sa peau. Il ne savait juste pas comment s'y prendre et il manquait cruellement de confiance en lui.
    Lorsqu'il arriva dans la cuisine, il n'y avait encore personne, mis à part Aramis, le cuisinier. Lorsque Nabil était arrivé sur le vaisseau, on lui avait présenté ce cuistot muet au sourire naïf mais qui préparait des plats excellents. Labruyère lui avait raconté que son nom était tiré d'un roman célèbre de l'ancien temps. Labruyère étant féru d'histoire ancienne, il avait décidé de baptiser son cuisiner Aramis parce que d'une part il n'avait pas de prénom avant qu'il lui en donne un et d'autre part parce que de toute les manières, c'était lui qui décidait sur ce vaisseaux. Le tout agrémenté de grossièretés plus recherchées les unes que les autres. 
  • Bien le bonjours messieurs !
  • Ah, salut, souffla Nabil, un sourire aux lèvres, en voyant son meilleur ami le rejoindre.
  • Je ne t'attendais pas si tôt...As tu chu de ta couche pour te retrouver ici en cette heure ?
  • Je ne m'habituerai jamais à ta façon de parler, t'en as conscience n'est ce pas ?
  • Pauvre ignare ! Grogna l'autre d'un ton princier.
  • Ouai, ouai allez redescend, c'est le matin là, s'amusa un autre pirate qui venait d'entrer dans la cuisine en riant. Bouffe comme tout le monde et tout ira bien dans le meilleur des mondes !
  • Je n'écouterai pas une minute de plus les grognements de cet olibrius, souffla le dit Léo en levant les yeux au ciel. 
     Il ne bougea cependant pas, restant assis près de Nabil, et se dépêcha de manger son petit déjeuner qui consistait en un bol de porridge. Léo venait des terres lointaine et qui plus est d'une famille très pauvre. Il avait acquis un incroyable vocabulaire mais cependant, il restait toujours adepte de la nourriture de son enfance. Il avait beaucoup de manières mais également un humour dévastateur, ce qui le rendait génial. C'était un garçon simple, qui s'habillait toujours de la même façon – il ne quittait jamais sa veste en toile kaki – mais qui mettait un point d'honneur à se hisser contre les injustices. Il avait des cheveux châtains et des yeux marrons, ce qui contrastait avec un peau laiteuse.
    Nabil l'avait toujours bien apprécié, malgré son langage qui pouvait être énervant à la longue. C'était le seul garçon de son âge et il se sentait à l'aise en sa compagnie. Léo ne parlait pas trop mais suffisamment et quand il le fallait. Il comprenait les moments de calme et c'était un érudit, écrivain et parlant plusieurs langue que Nabil ne connaissait même pas. Son truc à lui, c'était conduire.
    Très tôt, à son arrivée sur le bateau, on lui avait fait tester toutes sortes de choses pour voir en quoi il pourrait se rendre utile. La première fois que Nabil s'était assis dans un eyon, il avait su que c'était ça qu'il voulait faire. Les eyons était des véhicules volant, parce que rouler au sol avec la forêt était impossible. On ne pouvait pas faire de routes. Ils pouvaient contenir de deux à cinq-cent personnes et d'ailleurs, la dame du ciel, le vaisseau de Labruyère, était un eyon de catégorie A, le plus gros. Nabil, lui, s'était spécialisé dans la conduite d'eyons de catégorie E. Ils pouvaient contenir jusqu'à deux personnes et c'était les plus rapides. C'est ce qui lui plaisait : la vitesse, les figures, la sensation de voler, d'être libre. Labruyère l'avait donc tout de suite affecté à la classe des pilotes. Il allait en éclaireur la plupart du temps ou alors ils servaient à attaquer en première ligne. Être pilote était à la fois sensationnel parce que c'était un des rares postes qui permettait de quitter la dame du ciel mais c'était également très dangereux parce qu'ils étaient les premières lignes de défense. Entre autre, les premiers à tomber. 
  • Dis donc, c'est pas ce matin qu'on doit aller repérer vers le nid de craquolier ? Demanda Nabil à Léo.
  • Je n'en sais rien. J'ai ouïe dire qu'on allait en effet nous y envoyer mais j'ignore la raison de cette mission.
  • Je crois que ça a un rapport avec la fille qui a disparu.
  • Quelle demoiselle ?
  • Tu sais, il y a trois semaines.
  • Oh ! Tu veux parler de cette enfant suicidaire qui a quitté le centre de formation de la garde rouge d'Iryanthera pour aller se terrer dans la forêt comme un moineau menacé ?
  • Je ne pense pas que ce soit comme ça qu'on...
  • Eh les gars !!! coupa un pirate en entrant en trombe dans la cuisine qui était à présent remplie. Regardez ce que Tok a trouvé dans la base de donné du centre de formation qui a perdu la fille ! 
    Le perturbateur posa l'ordinateur juste devant Nabil, ce qui irrita prodigieusement ce dernier. Il était en train de manger et on venait l'ennuyer avec de probables images de douche. Cependant que les autres s'agglutinaient autour de lui, il fut tout de même intrigué et décida de rester pour voir de quoi il retournait. Le gars lança la vidéo. On voyait un forêt, puis une voix off nous indiquait qu'ici se trouvait le nid de craquolier le plus dangereux du monde et que cette année, les premières années étaient lâchées à cet endroit. Un zoom nous amenait à l'intérieur de la forêt où on entendait hurlement et autres cris d'agonie. Puis la vidéo zoomait encore sur trois personnages qui couraient le plus vite possible. Il y avait un gars aux cheveux blonds, une fille aux cheveux rouges et...
  • Diaedin ! S'écria brusquement Nabil en saisissant l'écran. 
    Les autres ne lui dirent pas de se taire. Ils savaient tous ce qui s'était passés. Nabil continua de scruter l'écran et l'horreur vint bientôt s'installer sur son visage. Son frère venait poignarder le blond et la fille lui hurlait dessus. Il la trouva très belle, même en ce moment alors que la rage déformait ses traits. Puis la caméra montrait les lianes s'approcher d'eux et les attraper. Nabil regarda son frère se faire tordre par un craquolier puis brusquement tout explosa. Il vit le corps de son frère tomber au sol ainsi que celui du garçon blond. Il ne restait que la fille et elle dégageait quelque chose de monstrueux. Le craquolier tentait de l'attaquer mais ses lianes étaient coupées avec violence sans pouvoir l'atteindre. Et puis la fille visait l'arbre avec ses mains et il était réduit en morceau. Ses yeux rouges brillaient de colère et ce fut à ce moment là qu'elle remarqua la caméra. Elle pointa sa main dessus puis tout fut noir.
    Un grand silence régnait à présent dans la cuisine. Personne ne parlait et personne n'osait bouger. Le spectacle qu'ils venaient de voir était à la fois effrayant et cruel. Elle avait tout réduit en cendre.
  • Qu'est ce qui se passe ici ? S'écria Labruyère qui venait d'entre à son tour.
  • Ce...J'ai trouvé une vidéo sur la fille que vous recherchez...
    Labruyère regarda à son tour. Nabil sentit que l'homme vacillait. Parce que cette fille ne devait pas avoir beaucoup plus que son âge. Quatorze ans tout au plus. 
  • Écoutez, commença Labruyère. J'ai besoin de volontaire. On a localisé cette fille . Elle serait apparemment retournée dans le nid de craquolier. Je souhaiterai la ramener ici.
  • Pas question ! Elle va tous nous tuer ! S'écria quelqu'un.
  • Oui ! On devrait la laisser là-bas ! Si elle n'est pas morte c'est qu'il doit y avoir une raison !
  • C'est une enfant effrayée bande d'imbécile. Je réitère ma question : qui souhaite m'accompagner ? 
    Nabil fut surpris de voir sa main se lever. Il était intrigué. Mais surtout, cette fille avait vu Diaedin, elle avait été avec lui. Peut-être pourrait-elle lui donner de ses nouvelles ! Ça faisait si longtemps qu'il ne l'avait pas revu ! Et peut-être même qu'il serait avec elle si elle s'était enfuie ! Il voulait absolument y aller. Il regarda autour de lui et constata que seul Léo avait levé la main pour les accompagner.
    Ils décollèrent en début d'après-midi. Le nid de craquolier était à une heure de la Dame du ciel, il ne leur faudrait donc pas beaucoup de temps. Labruyère était un vieil etrac, il avait donc un rapport personnel avec la forêt. Ils ne seraient donc pas attaqués par les craquoliers. Labruyère les connaissaient bien et Nabil soupçonnait son capitaine de vouloir les interroger sur le pourquoi du comment cette fille faisait pour survivre parmi eux, ces géants destructeurs.
    Le voyage fut plutôt rapide et Nabil était à la fois excité et effrayé. C'était la première fois qu'il rentrait vraiment dans la Forêt et il était impatient. Cependant, il ne la connaissait pas et malgré que ses pouvoirs d'etrac lui confèrent une certaine sécurité par rapport à Léo, qui était simplement humain, il n'était pas rassuré pour autant. Lorsqu'ils atterrirent, Labruyère les obligea à enfiler un masque filtrant et leur dit qu'à présent, le silence et la discrétion étaient de mise parce que cette fille serait sans aucuns doutes méfiante et sur ses gardes. 
  • Dites monsieur, dit Nabil pendant qu'ils marchaient, vous pensez qu'elle pourrait nous tuer cette fille ?
  • Avec ses capacités physiques acquises au centre de formation c'est possible, mais pas avec ses pouvoirs d'etrac.
  • Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
  • Je pense, souffla le capitaine, qu'elle ne sait pas du tout ce qui lui arrive et qu'elle est un peu déboussolée. Effrayée ça m'étonnerait, parce que dans ces centres, ils sapent vos émotions. Elle ne sait pas ce qu'est la peur. Ni la tristesse, ni la colère. Ni l'amour.
  • Comment ça ?
  • Dis toi bien que cette fille a été enlevée de chez elle et qu'on l'a élevée pour tuer jusqu'à présent. Je ne sais pas qui elle est ni d'où elle vient mais je te conseillerai de prendre garde à ce que tu pourrais faire.
  • Ne prenez pas Nabil pour plus bête qu'il ne l'es déjà capitaine, s'amusa Léo, vous lui feriez bien trop d'honneur !
  • C'est valable pour toi aussi jeune Léo, rétorqua Labruyère, un sourire grinçant aux lèvres qui fit fermer son clapet au moqueur.
  • En tout cas, dit Nabil, je me demande comment elle va réagir lorsqu'elle nous verra.
  • Oh! Je pense qu'elle va tenter de nous occire! S'exclama Léo en riant.
    Ils marchèrent pendant une dizaines de minutes puis finir par arriver au nid. Les arbres ne les attaquèrent pas et les laissèrent pénétrer dans le centre du nid.
    C'était là qu'elle était. Nabil le sentit immédiatement. D'ailleurs, n'importe quel imbécile aurait pu s'en apercevoir parce qu'il y avait un campement en hauteur et des restes de nourritures mangées au sol ainsi que de petits os appartenant avec beaucoup de probabilités à des kriss. Ils décidèrent de se séparer. Nabil suivit ce que lui disaient les arbres – sa communication avec eux était encore sommaire mais il se débrouillait bien – tandis que Léo et le capitaine allaient inspecter le campement de fortune.
    Nabil se retrouva devant un lac. Il n'y avait bien entendu personne mais il se douta qu'elle devait être là, quelque part, à l'observer. Il s'assit tranquillement près de l'eau. Un souffle frôla sa nuque et il se laissa tomber en arrière, se retrouvant nez à nez avec un bébé daenkil. Il était encore petit mais devait bien faire cinquante centimètres de haut. Il semblait apprivoisé parce qu'il ne l'attaqua pas et sa mère aurait déjà le pauvre Nabil si le bébé n'avait pas été seul. Le jeune garçon regarda l'animal et tandis la main vers lui, tout doucement. Le daenkil feula et planta brusquement ses dents dans la main du garçon. Il ne dit rien mais fut surpris. Il avait des gants donc ça ne lui faisait pas mal du tout, cependant, le petit était tout de même un peu apeuré. Nabil tandis son autre main et l'animal plia ses oreilles. Il ferma également les yeux, comme si il sentait sa dernière heure arrive. Le daenkil sembla surpris quand il se rendit compte que Nabil ne faisait que lui caresser la tête. Tout danger écarté, il décida donc que cette humain ressemblait beaucoup à sa maîtresse puisqu'il était si gentil avec lui. Il lui grimpa donc dessus et s'assit en attendant qu'elle revienne. Elle lui avait dit de surveiller alors il allait surveiller.
  • Hem...J'aimerai me relever, chuchota Nabil. S'il te...
    Il cessa brusquement de parler. Un couteau se trouvait sous sa gorge et pas un petit. Il sentit des gouttes s'écouler sur son front. Quel imbécile ! Elle avait dût aller nage ! Et le daenkil qui ne voulait toujours pas bouger ! Impossible de se débattre !
  • Ferme les yeux je ne suis pas habillée, murmura une vois féminine. Si tu bouges, tu meurs.
    Il décida de l'écouter et de se taire. Après tout, ça serait stupide. De mourir comme ça s'entend. Il attendit quelques minutes et quand il sentit de nouveau la morsure de la lame, il devina qu'elle avait terminé.
  • Je peux ouvrir les yeux maintenant ?
  • Je ne sais pas...Pourquoi tu es ici ?
  • On t'as cherché avec mon capitaine...
  • Pourquoi ?
  • Lui je ne sais pas, marmonna Nabil, moi c'est parce que tu étais avec mon petit frère dans cette Forêt alors j'ai voulu partir à ta...
  • Tu es le frère de Diaedin! Le coupa t-elle d'une voix blanche.
  • C'est exact.
  • Loan, descend, ordonna-t-elle.
    Nabil s'assit. Il était encore dos à elle et comme un jeu. Il décida de ferma les yeux jusqu'à ce qu'il soit debout et face à elle. Il se leva lentement, en prenant son temps, en savourant ces dernières minutes d'anonymat. Puis finalement il ouvrit les yeux. L'aspect de la jeune fille le gifla au visage. Ses cheveux étaient rouges. Rouge sang. Et ses yeux aussi d'ailleurs. Sa peau était légèrement bronzée par le soleil. Elle portait une combinaison noire à même la peau et il ne se risqua pas à détailler le reste de son anatomie. Ce qui le fascinait pour le moment c'était ses yeux. Ils brillaient. De quelque chose que Nabil n'aurait jamais pu définir.
  • Alors euh...est ce que Diaedin est-ici ?
  • Il est ici, confirma-t-elle. Il est...là.
    Nabil fut un peu étonné. Il n'avait vu personne. Et la voix de la jeune fille semblait s'être brisée sur la fin. Lui qui pensait qu'elle ne ressentait rien. Il tourna la tête et il comprit ce qu'elle voulait dire. C'était une tombe, avec le nom de son frère dessus. Il détourna le regard et baissa la tête. Les larmes lui picotaient les yeux. Mais il ne pleura pas. Pas devant elle, pas comme ça. Pas maintenant.
  • Qu'est-ce que vous me voulez ? Demanda la jeune fille.
  • On voudrait te ramener avec nous. On est des pirates.
  • Des pirates ? Et pourquoi je devrais faire ça ?
  • Parce que nous pouvons t'offrir un foyer et une vengeance, dit Labruyère en émergeant des arbres. Et surtout, nous pouvons t'aider à retrouver ta mère. Mais c'est aussi toi qui peut nous aider j'ai l'impression.
  • Comment ça ?
  • Ce que tu portes là, c'est un bracelet-émetteur, dit-il en désignant son poignet. Ça veut dire qu'on te l'a confié pour une raison très précise vu ton âge et qu'on ne te l'a pas retiré parce que quelqu'un qui n'a pas d'énergie solaire dans le corps ne peut pas y toucher, le faire fonctionner ou l'enlever.
  • Comment savez vous que ma mère a disparue?
  • Parce que je connaissais ton père.
  • Mais...Je ne vous ai jamais vu moi.
  • C'est normal. Tu n'allais pas chez le fleuriste avec lui n'est-ce pas ?
  • Oh ! Le fleuriste ! C'était vous !
  • C'est exact.
  • Écoutez je... j'ai ce truc là...ces espèces de dons. Je vais vous faire du mal il vaudrait mieux que...que je reste là et ça serait mieux pour tout le monde je pense...
  • Mais nous en avons aussi, intervint brusquement Nabil qui nous voulait pas rester en dehors de la conversation. Moi je suis comme Diaedin et le capitaine aussi !
  • Etr...ac ?
  • C'est ça ! Acquiesça le garçon en s'approchant d'elle.
  • Je ne sais pas les maîtriser écoutez...
  • Nous avons vu de quoi tu es capable, nous pouvons t'apprendre à le maîtriser, avança Labruyère. Si jamais nous n'y arrivons pas et que tu veux repartir dans la forêt, je te promet de t'y raccompagner en personne.
  • Et mon daenkil ?
  • Il peut venir si il veut.
  • Bon eh bien...c'est d'accord.
    Nabil lui tendit la main. Il ne voulait pas qu'elle s'effraye mais surtout il voulait montrer qu'on pouvait compter sur eux. Qu'elle pouvait avoir confiance. Elle fixa sa main quelque instants et leva un regard interrogateur.
  • Prend ma main, l'encouragea-t-il.
    Elle regarda les doigts tendus vers elle encore quelques minutes puis elle les saisis. Nabil était heureux. La petite main de cette fille étaient chauds et d'ailleurs, elle même était toute rouge en ce moment même. Rouge des pieds à la tête. Il la trouva mignonne et amusante puis se dit qu'elle ferait un bon compagnon d'arme. Il se mit à avancer en la tenant par la main, le daenkil les suivant et Labruyère et Léo devant.
    Assis dans l'eyon, Nabil n'avait toujours pas lâché sa main. Il se tapa brusquement sur le front et se tourna vers elle.
  • Mais au fait, moi c'est Nabil ! Et toi ? Comment tu t'appelles ?
  • Je m'appelle Nella.